Archives du mot-clé ART D’ECONOMIE MIXTE – EX

ABC d’art d’économie mixte (4/10)


(publié dans le Bathyscaphe n°5 (printemps 2010, Québec)

tags : urbanisme unitaire – Internationale situationniste – art d’économie mixte – art contemporain – vie quotidienne – réalité construite

Construction de situations

L’idée de construction de situation était déjà dans l’air quand, à la fin des années cinquante, l’Internationale situationniste théorisait l’« urbanisme unitaire » et le concept de « situation construite ». À la même époque, influencés par Marcel Duchamp, Raoul Hausmann ou John Cage, des artistes cherchaient l’art « hors les murs » autour d’expériences comme la poésie sonore, le happening, l’assemblage, comme Fluxus, entre autres (1). Ces différentes expériences ont contribué à modifier le rapport des artistes à la vie quotidienne, en bouleversant les conventions de représentation, de mise en scène et de périmètre artistique. L’art d’économie mixte lui-même en a été affecté. Aujourd’hui, des artistes contemporains travaillent à la réalisation de véritable unités de réalité construite. Lire la suite

ABC d’art d’économie mixte (3/10)


(publié dans le Bathyscaphen°4 (printemps 2009, Québec)

tags : Daniel Buren – Simon Hantaï – Michel Parmentier – BMPT

Hasard et inconscient

Le hasard a une place prépondérante dans l’art d’économie mixte. Il a accompagné la déconsidération croissante, après la guerre, pour les approches artistiques fondée sur l’inconscient et la subjectivité (deux valeurs liées à l’art moderne avant-gardiste). En art d’économie mixte, l’inconscient prend la forme réductrice de l’objectivité du hasard. On valorise la dé-subjectivité de l’artiste, son irresponsabilité dans le processus créatif, et pour certains la tyrannie du hasard – un hasard sensé soulager l’artiste du poids de la responsabilité de devoir choisir et décider, le hasard comme soulagement dans un monde fondée sur l’intégration. C’est ce qu’exprimait à sa manière le pop-artiste Roy Lichtenstein : « La génération précédente cherchait à atteindre son subconscient alors que les artistes pop cherchent à se distancier de leurs œuvres. Je veux que mon œuvre ait l’air programmée et impersonnelle… (1) »

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ABC d’art d’économie mixte (2/10)


(publié dans le Bathyscaphen°3 (hiver 2008, Québec)

tags : réalisme – Kossuth – art conceptuel – agencement d’objet – rapport social – intégration

Du réalisme en art

Les artistes d’économie mixte ne se reconnaissent pas dans l’appellation « réaliste », parce que celle-ci renvoie aux limites d’un genre déjà critiqué par l’art moderne avant-gardiste, et parce qu’elle a été associée, dans l’immédiat après-guerre, à la « vieillerie » artistique. Pourtant, à partir de la fin des années cinquante avec l’arrivée qualitative, et quantitativement soutenue, des artistes du pop art, du nouveau-réalisme, de l’arte povera, etc., c’est bien le réalisme comme objet et sujet de l’art qui a envahi la sphère artistique sans rencontrer de véritable résistance. Le réalisme de l’art moderne avait donné naissance son antagonisme : l’abstraction, avec l’art d’économie mixte, le réalisme ne s’oppose plus à l’abstraction : par le principe de l’agencement des objets et de leur mise en scène, réalisme et abstraction se sont réconciliés.

Une manière nouvelle d’aborder la question du réalisme en art s’imposait après la guerre que résume, par sa concision, One and three chair (1965) de l’artiste conceptuel Joseph Kossuth. Avec cet œuvre, il exposait simultanément la photographie de très grand format d’une chaise, l’agrandissement de la définition d’une chaise établie par un dictionnaire, l’ensemble étant positionné à côté d’une vraie chaise. Il s’agissait pour Kossuth de souligner combien la simple photographie d’une chaise ne suffisait pas à rendre compte de ce qu’était vraiment cet objet, pas plus que la définition du dictionnaire ou la seule présence de l’objet lui-même. C’est par la mise en réseau des différentes pièces à conviction (l’objet lui-même, sa définition académique, sa représentation objective), exposées conjointement, que l’artiste tentait d’approcher d’une représentation réaliste d’une chaise. On n’était plus ici dans la tradition de l’art moderne, mais dans une conception sociologique du réalisme en art. Les artistes devenaient sociologues et s’ancraient dans des disciplines à explorer. Avant l’art d’économie mixte, il y avait des peintres, on disait les « peintres « impressionnistes », désormais il y avait des artistes, on disait les artistes « conceptuels », du « pop art » ou du « land art ».

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ABC d’art d’économie mixe (1/10)


(publié dans le Bathyscaphe n°2 (2008, Québec)

« Je ne crois pas à cette idée de l’artiste contemporain comme parasite, expliquait il y a quelques années le critique d’art Nicolas Bourriaud, le parasite n’utilise pas l’organisme dans lequel il est introduit, il ne fait que s’en nourrir. Ce n’est pas le cas des artistes actuels : eux sont dans l’ordre du maniement, de la manipulation des signes, plus que dans une problématique du parasitage. Qui dit parasitage dit besoin et envie de nuire. or, là, il n’y a pas de nuisance : c’est juste une façon particulière de se servir des formes pour produire quelque chose d’autre (1). »

En quelques mots, on aura reconnu l’un des fondamentaux (le mot est à la mode)  de l’art d’économie mixte, un art intégré dans la société qui le produit, évitant les positions de rupture, maniant davantage l’agencement des signes que la critique du sens. Ce n’est pas cet artiste russe, né en 1965, qui contredira les propos de Nicolas Bourriaud : « Pour [Vadim] Fishkin – apprenait-on lors d’une exposition collective au musée du Jeu de Paume à Paris, intitulée L’Autre moitié de l’Europe –, il va de soi que l’utopie de l’avant-garde appartient au passé ; c’est pourquoi les projets qu’il propose sont dénués de toute perspective de rénovation du monde (2) . » Il ne sera pas davantage contredit par cet autre artiste, américain celui-là, qui pratique l’art des rues : « La Fondation Cartier invite Barry McGee (né en 1967) à tagger les murs de la cage d’escalier, en référence à l’art de la rue, qui, dans les années 1980, décline sur fond de musique punk, hard-core, et de folk culture, le signe d’une volonté de laisser une trace personnelle dans un monde de plus en plus aliénant. Pour lui, le graffiti n’est pas un acte de vandalisme, antisocial et destructeur, mais plutôt une forme de communication cryptée, un “dialogue de rue” dans lequel l’environnement devient le sujet d’un courant infini de messages codés et d’interférence (3) . » Dès son apparition, à la fin des années 1950, l’art d’économie mixte s’est caractérisé par un pressant souci d’intégration sociale. Parler de contestation à son propos serait exagéré, personne ne s’y risque d’ailleurs.

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ABC d’art d’économie mixte (0/10)


Depuis 2008, j’ai recommencé à écrire des textes consacrés à l’art d’économie mixte à l’invitation de mes amis du Bathyscaphe (Québec). Je reprends dans cette rubrique les articles après leur parution dans le Bathyscaphe.

On parlera ici d’art d’économie mixte plutôt que d’art contemporain. Au moins l’ancien cherchait à être moderne, pas seulement contemporain ! Par art d’économie mixte, on entendra l’art du long cycle du capitalisme d’économie mixte qui a émergé à partir des années 1950 et s’enlise dans la crise aujourd’hui.

Avant garde et économie mixte


(publié dans la brochure Un art d’économie mixte, Ab irato, 1997)

Les avant-gardes d’art d’économie mixte

Succédanées de la conception bolchevique et autoritaire de l’organisation, les avant-gardes artistiques radicales ont eu leurs heures de gloire entre les deux guerres, mais se sont prolongées jusque dans les années 50-60. Elles ont eu leur « période héroïque » du temps des surréalistes qui ont dans les années 30 ignoré les critiques marxistes et anarchistes du bolchevisme, préférant Trotsky à Pannekoek. Elles ont eu leur « période malheureuse » après la seconde guerre mondiale du temps des situationnistes, contraints dans les années 60 à s’affirmer comme une avant-garde qui renoncerait à ses prérogatives d’avant-garde .

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Simulacre d’avant-garde


(publié dans la brochure Un art d’économie mixte, Ab irato, 1997)


Un itinéraire exemplaire : celui de Mister Home

Né en 1962 en Angleterre, Mister Home est un écrivain qui a écrit plusieurs romans. Après avoir participé au néoisme, mouvement informel et mou originaire des États-Unis qui faisait de la négation de l’art sans contestation sociale, sorte de « situationnisme » à l’américaine combiné de sous-fluxus, mais auquel il a essayé d’apporter un peu de critique sociale, Mister Home a lancé plusieurs « festivals du plagiat ». En 1988, il publie The assault on culture, histoire documentée mais extrêmement brève des avant-gardes artistiques radicales depuis la seconde guerre mondiale (Cobra, le Lettrisme, l’Internationale Lettriste, l’Internationale situationniste, le premier Fluxus, Gustav Metzger, le mouvement provo à Amsterdam, Motherfuckers, etc.).(1) La principale faiblesse de cet essai venait d’une part de l’occultation volontaire et exagérée de l’influence du surréalisme sur une partie de ces groupes, et d’autre part d’une très fâcheuse propension de l’auteur à se servir de l’histoire de ces avant-gardes pour glorifier son propre itinéraire et l’historiser.

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Culture jammer


(Publié dans La Comète d’Ab irato, n°7, décembre 1995)

La faiblesse de la subversion de la publicité telle qu’elle est pratiquée par les casseurs de pub, c’est qu’elle reste un moment de l’art d’économie mixte, c’est-à-dire d’un art qui, même quand il se veut subversif, ne vit que par les subventions publiques et le mécennat des entreprises privées.

Une association d’artistes américains, Media Foundation, a pris la saine habitude de détourner les images publicitaires qui encombrent les paysages urbains américains. Récemment, elle a lancé une offensive contre la campagne d’affiches d’American Express vantant les avantages des cartes bleues, par un détournement vigoureux et ludique des panneaux publicitaires en les transformant en contre-publicités pour « american excess », changeant le slogan initial « Don’t leave home without it ! » (Ne partez pas sans elle) en « Just leave home without it ! » (Partez sans elle !), et en remplaçant les personnages de l’affiche originale, forcément beaux-modes, jeunes-consommateurs, classe moyenne-cadre, par des américains moyens, obèses, mal habillés (c’est-à-dire comme tout le monde), les bras chargés de paquets (vraisemblablement du prisunic local). L’association pratique ce qu’elle appelle le « subvertising » (contraction de subversif et de publicité), qui consiste à faire la critique par le détournement des signes médiatiques utilisés par les publicités. L’association diffuse également par les radios des campus universitaires des contre-slogans publicitaires, car le « subvertising » détourne toutes les formes de publicité (jusqu’au spots télévisés).

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De la subversion de la société par l’art, à la subvention de l’art par la société


(publié dans Le Monde Libertaire, Hors série n°4, juillet-août 1995)

On ne peut comprendre l’art d’aujourd’hui sans revenir un moment sur l’art de la première moitié du siècle. Les avant-gardes des années 1920 et 1930, et les philosophies de l’art et de l’histoire qu’elles exprimaient, faisaient d’une part fusionner la finalité artistique et la finalité révolutionnaire, l’idée était qu’il ne pouvait y avoir de réalisation de l’art sans suppression du capitalisme ; et d’autre part, intégraient dans la formation du langage artistique l’importance de l’expression inconsciente. Poussé par la révolution russe et son attraction, l’art de la première moitié du siècle (Dada, surréalisme, expressionnisme allemand…) était en rupture avec la gestion capitaliste de la société, il était donc également en rupture avec l’ensemble des valeurs de la bourgeoisie. Il valorisait l’importance de la psychanalyse comme instrument de connaissance, et ne considérait pas l’artiste comme un héros ou un génie. L’art devait être fait par tous, car n’étant qu’affaire d’expression il devait être l’affaire de tous. Quand Marcel Duchamp introduisait en 1917 une pissotière dans une exposition d’œuvres d’art, il n’avait pas à l’esprit que celle-ci était une œuvre d’art, il remettait en question, par cette provocation, la culture élitiste de son époque. Pour mémoire, cinq ans auparavant, Apollinaire, introduisait des commentaires de la vie quotidienne dans la poésie (« Les directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographes, du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent », Zone). On attendait enfin de la révolution sociale qu’elle donne à tous les moyens matériels de se consacrer à la poésie.

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